Elections en Iran et après ? Par Jérôme Diaz


La République Islamique d’Iran, avec des élections quelque peu retentissantes et pour le moins contestées, est en train de subir un revers en terme de popularité, un revers qui s’exprime dans la rue par une partie de la population. Mais le gouvernement n’a pas baissé les bras pour autant (encore moins sa milice, les fameux « bassijis »).

Mahmoud Ahmadinejad annoncé vainqueur alors même que, selon des spécialistes et médias occidentaux mais d’après également des iraniens vivant à l’étranger, tous et toutes (46 millions d’électeurs) n’avaient pas encore voté. Une « mascarade d’élection » affirment certaines ONGs de défense des Droits de l’Homme, comme la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FIDH) dans l’un de ces derniers communiqués. Un « coup d’Etat » m’ont affirmé des étudiants iraniens installés dans la région depuis peu. Pour eux, et pas que pour eux d’ailleurs, cette réélection est belle et bien une tromperie, et le gouvernement iranien veut semble-t’il faire croire à sa propre population que ces soupçons de fraude sont infondés et sont une fois de plus l’œuvre des Occidentaux , en particulier des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne, et bien sûr d’Israël envers qui les déclarations enflammées et grandiloquentes (dans le mauvais sens bien sûr) de la part d’Ahmadinejad sont désormais connues du monde entier, notamment depuis son intervention (pour le moins tonitruante, mais n’était-ce pas prévisible ?) à la tribune des Nations Unies à Genève lors de la Conférence sur le racisme, appelée Durban II. Un chef d’Etat, populiste au possible (ce qui lui octroie une popularité certaine auprès des plus déshérités), qui a fait chuter de façon dramatique l’économie de son pays, régresser le domaine des Droits de l’Homme, museler la presse, fait grimper l’inflation de manière inquiétante… Bref, un homme d’Etat qui a tout pour plaire.

Le problème, c’est justement qu’Ahmadinejad n’est pas le seul, de problème, à la tête de la République Islamique d’Iran. Il n’est que le produit d’un système instauré dans ce pays depuis des décennies. C’est en effet un système politique très particulier, unique au monde : le président est soumis au bon vouloir du Conseil des Gardiens de la Constitution, chargé notamment de la validation du choix des candidats à l’élection présidentielle. Il faut savoir qu’aucune femme ne peut se présenter à cette élection, en raison d’une interprétation toute personnelle de la Constitution, et que les opposants politiques (ou simplement celles et ceux qui contestent ce processus électoral qui n’a rien de démocratique) sont purement et simplement « écartés ».

Selon un article paru dans Bakchich.info, « La République islamique a une spécificité unique dans le monde. Elle est fondée sur une interprétation de l’Islam qui prédomine sur toutes les décisions prises par le pouvoir », explique Reza Moini, responsable du bureau iranien de Reporters Sans Frontières (source : « Bakchich.info» ). L’Ayatollah Khamenei est, depuis 1989, commandant en chef des forces armées du pays ainsi que le garant de l’application des préceptes religieux dans la République Islamique.

Voici quelques notions de base, indispensables pour clarifier et mieux cerner le fonctionnement du système politique iranien : il s’agit d’une structure complexe (comparée à d’autres systèmes institutionnels comme en France ou aux Etats-Unis)  comportant toutefois quelques points communs, comme la présence d’un Président de la République (le poste de Premier Ministre a en revanche été supprimé à la fin des années 80, poste qu’a occupé Mir Hossein Moussavi) et d’un Parlement. Mais un personnage se situe au-dessus du Président, une figure importante du régime, l’autorité politique suprême : l’Ayatollah Ali Khamenei, successeur de Khomeyni, garant des principes du régime et de son attachement aux valeurs essentielles.

Trois personnages-clés donc, auxquels il faut ajouter trois conseils :

  • le Conseil des Gardiens de la Constitution, qui autorise (ou pas) les candidats à se présenter aux élections, selon certains critères, observe la régularité des élections et valide les résultats (selon des critères évoqués plus haut),
  • le Conseil de Discernement, lui, arbitre les conflits entre le Parlement et le Conseil des Gardiens de la Constitution,
  • lAssemblée des Experts est, quant à elle, une assemblée élue, qui a le pouvoir de nommer et de révoquer le Guide de la République Islamique, la plus haute autorité donc au sein du régime. Il faut néanmoins savoir que, jusqu’à présent, aucun Guide n’a été révoqué.

 Autre chose à savoir : les luttes de pouvoir internes. Il y a en effet une querelle depuis 2005, lors de l’arrivée au pouvoir d’Ahmadinejad, entre celui-ci et Ali Akbar Hachemi Rafsandjani, par ailleurs ancien Président de la République islamique. Rafsandjani est aujourd’hui, et ce depuis quelques mois, à la tête du Conseil de Discernement et de l’Assemblée des Experts. Il a ainsi mené une campagne, au sein des deux assemblées, contre Ahmadinejad et Khamenei, ce dernier affirmant publiquement son soutien à Ahmadinejad dont il dit se sentir plus proche..

Rappelons par ailleurs que les Gardiens de la Révolution sont une armée idéologique constituée de 120 000 membres, à ne pas confondre avec le Conseil des Gardiens de la Constitution. Ils sont en principe sous l’autorité d’Ahmadinejad et Rafsandjani, mais sont eux-mêmes divisés, notamment au niveau des échelons inférieurs de la hiérarchie. L’autre force est incarnée par les fameux « bassidjis » : des miliciens, et non pas des militaires. Ils semblent, eux, prêts à frapper (au sens propre) pour faire respecter l’ordre et les décisions du régime. On les a d’ailleurs vus « à l’œuvre » depuis les manifestations du 12 juin dernier. Ils sont visiblement, et à ce que m’ont raconté des iraniens installés dans la région, responsables des exactions les plus graves et commises en totale impunité.

 S’il paraît nécessaire de ne pas non plus dresser un tableau complètement sombre de Mahmoud Ahmadinejad et de ce système politique assez particulier dont il est issu, il faut également éviter de tomber dans l’autre extrême, à savoir l’angélisme absolu, en ce qui concerne les rivaux du président sortant, que ce soient Mir Hossein Moussavi, Mehdi Karoubi, ou encore Mohsen Rezai. En effet, Moussavi n’est pas un illustre inconnu dans le paysage politique iranien, et n’est ni Che Guevara version iranienne, ni (comme on a pu l’entendre) le Barack Obama « local ». Premier  ministre de la République Islamique de 1981 à 1989, il a ainsi déjà été dans les rangs du pouvoir, sans parler de son absence de la scène politique iranienne au cours des deux dernières décennies, et d’un goût très modéré pour le respect de la démocratie. Les autres candidats ont également fait partie du « processus », aucun n’est donc vraiment néophyte dans ce domaine. Tous ces candidats sont donc issus d’une même sphère, bien qu’ils aient revendiqué et affiché tout au long de cette élection un changement net par rapport à la politique menée depuis quatre ans par Mahmoud Ahmadinejad, que ce soit sur le plan national que sur le plan international.

 En ce qui concerne de domaine du respect des Droits de l’Homme, La FIDH a consacré un rapport exhaustif récemment sur la situation en Iran, un dossier intitulé « La peine de mort en Iran : une politique de la terreur » (mis en ligne le 23 avril 2009). On y apprend, entre autres, que l’Iran est le deuxième pays au monde pour le nombre d’exécutions (derrière la Chine), qu’il détient le taux le plus élevé d’exécutions par habitant ; c’est également le pays où le plus grand nombre de mineurs sont exécutés.

Le rapport, rédigé conjointement par la FIDH et la Ligue de défense des Droits de l’Homme en Iran (LDDHI), expose le fait qu’ « en Iran, on continue à exécuter en violation flagrante des normes internationales ». Ainsi, « la peine capitale constitue, en Iran, l’instrument d’une politique visant à faire peser un climat de terreur sur la population ».

 Quelques liens vers des sites :

 Human Rights Watch : http://www.hrw.org/fr/news/2009/06/23/iran-la-violente-r-pression-des-manifestations-s-intensifie

 FIDH : http://www.fidh.org/Iran-un-climat-de-peur

 Reporters Sans Frontières : http://www.rsf.org/spip.php?page=article&id_article=33592

 Alternatives Economiques (avec un excellent « dossier web »)  : http://www.alternatives-economiques.fr/dossier—les-iraniens-demandent-la-parole_fr_art_633_43422.html

 Confluences Méditerranée : http://www.confluences-mediterranee.com/v2/spip.php?article2469

 Par Jérôme Diaz d’Explorer Humanity

  1. Pas encore de commentaire.
(ne sera pas publié)