Le côté obscur du Plan Colombie


 

 

http://www.thenation.com/doc/20090615/ballve

THE NATION ? 2 JUIN 2009

Le côté obscur du Plan Colombie

Par Teo Ballvé  27 Mai 2009

L’appui aux investigations pour cet article a été fourni par le Fond de Recherches de la Fondation Puffin, de l’Institut La Nation, avec un appui additionnel de « Proyecto Palabra », une organisation sans but lucratif du Massachusetts, dédiée aux moyens de communications.

Le 14 Mai, la Fiscalía General de Colombie a publié une information sur sa page officielle sur une audience publique qui décidera du destin de COPROAGROSUR, une coopérative d’huile de palme dont le siège est à Simití, dans le nord du département de Bolívar. Un chef paramilitaire narcotrafiquant qui s’est confessé et connu sous le nom de Macaco, a remis au gouvernement les actifs de la coopérative, de laquelle il revendique sa propriété, dans le cadre d’un programme de réparations des victimes.

Le Plan Colombie subventionne t-il des narcotrafiquants pour produire des agrocarburants sur les terres volées

Macaco, dont le vrai nom est Carlos Mario Jiménez, a été l’un des commandants paramilitaires les plus sanguinaires de la longue guerre civile colombienne, et il a confessé l’assassinat de 4 000 civils. Lui et son groupe armé sont aussi responsables en grande partie d’avoir forcé 4,3 millions de colombiens à devenir des réfugiés internes, soit la plus nombreuse population de déplacés internes du monde, après le Soudan. En mai 2008, Macaco a été extradé aux Etats-Unis, accusé de trafic de drogues et de « narco terrorisme ». Il est en attente de son jugement dans une prison de Washington D.C.

Macaco s’est rendu aux autorités fin 2005 dans le cadre d’un programme d’amnistie du gouvernement, qui prévoit que les commandants paramilitaires rendent leurs biens mal acquis, y compris les terres obtenues à travers le déplacement forcé. Macaco a offert COPROAGROSUR comme monnaie d’échange.

Cependant, la notification de la Fiscalía General ne mentionne pas que COPROAGROSUR avait reçu une subvention de l’Agence des Etats-Unis pour le Développement (USAID) en 2004. La subvention – payée à travers le Plan Colombie, paquet d’aides multimillionnaires destiné à lutter contre le trafic de drogue – paraît avoir mis des dollars de la guerre contre les drogues dans les mains d’un narcotrafiquant paramilitaire connu, en violation possible des lois fédérales. Les paramilitaires de Colombie figurent sur la liste des organisations terroristes étrangers du Département d’Etat.

La diligence de l’USAID dans le processus n’a pas faillie selon un responsable officiel de l’Ambassade des Etats-Unis en Colombie, car Macaco n’apparaissait pas officiellement parmi les propriétaires de COPROAGROSUR.

Depuis 2002, le Plan Colombie a destiné près de 75 millions de dollars par an à des programmes de « développement alternatif », comme la production de l’huile de palme. Ces programmes subventionnent des associations d’agro négociants et de paysans afin d’éradiquer les cultures illicites comme la coca, utilisée pour élaborer la cocaïne. Ces projets sont concentrés dans la partie nord de la Colombie, qui a été des terres de déplacements massifs de paysans.

Des fonctionnaires de l’USAID disent que les projets offrent une alternative à la violence liée au trafic de drogues dans un pays terrorisé par la guerre. Ils insistent sur le fait que l’Agence est vigilante sur les activités illégales et qu’elle n’a pas subventionné des cultures sur des terres volées. Cependant, une étude des documents internes de l’USAID, ses présentations institutionnelles et les rapports de presse mettent en avant une série de questions quant aux investigations menées sur les antécédents des demandeurs, en particulier son aptitude pour détecter leurs liens avec le narco-para militarisme, des crimes violents ou des saisies illégales de terres.

En plus des 161 000 $US remis à COPROAGROSUR, l’USAID a aussi remis 650 000 $US à GRADESA, une entreprise de palme qui compte au sein de sa direction deux accusés de para militarisme liés aux narcotrafiquants. Une troisième entreprise de palme, URAPALMA, également accusé de liens avec les paramilitaires, a quasiment obtenu l’approbation pour une subvention, avant que sa demande ne soit stoppée faute de documents. Les critiques disent que ce type de subventions est en contradiction avec la stratégie antidrogue du Plan Colombie.

« Le Plan Colombie lutte militairement contre les drogues mais en même temps, il donne de l’argent pour appuyer la palme, qui est utilisé par les mafias paramilitaires pour blanchir l’argent » selon le sénateur colombien Gustavo Petro, une voix critique vis-à-vis de l’industrie de la palme. « Les Etats-Unis subventionnent implicitement les trafiquants de drogues. »

Le vol de terres et l’essor des agrocombustibles

Le Brigadier Général Pauxelino Latorre a conduit un ancien agriculteur à travers un labyrinthe de couloirs en dur, passant par une série d’habitations rustiques avec vue sur les plantations de bananes et à l’intérieur même des quartiers de l’armée colombienne, la Brigade XVII à Carepa, localité du nord ouest de la Colombie. Les soldats saluaient quand le Général passait. L’agriculteur –Enrique Petro – de plus de 60 ans, traînaient les pieds quelques pas derrière essayant d’éviter le contact visuel.

De manière compréhensible, Petro était anxieux. A diverses reprises, des investigations pénales ont mis au jour des liens entre la Brigade XVII et les groupes paramilitaires qui ont assassiné brutalement des milliers de personnes, y compris le frère de Petro ainsi que son fils, un adolescent.

Plus il avançait à l’intérieur de la base, plus Petro avait un sentiment d’appréhension. Latorre ouvrit la porte d’un bâtiment de la partie arrière de la base militaire, où Javier Daza, alors gérant de URAPALMA, attendait. Lors de la rencontre, Daza et le Général ont tenu la majeure partie de la conversation.

C’était en août 2004. Quelques jours auparavant, Petro avait dénoncé auprès du général le fait qu’URAPALMA était en train de semer de la palme à huile sur la terre que les paramilitaires lui avaient volés en 1997, dans le département voisin du Chocó. En réponse, le Général avait suggéré une réunion à la base militaire et Petro, supposant qu’il n’avait rien à perdre, avait accepté. A la fin de la brève rencontre, dit Petro, Daza et Latorre l’ont intimidé afin de légaliser l’usurpation des terres. Avec la signature de Latorre dans le contrat, en qualité de témoin, Petro a perdu 85% de son terrain de 370 acres, et près de cinq ans après, il n’a toujours pas reçu le maigre paiement stipulé.

Petro fait partie des chanceux ; il est toujours vivant. Selon des rapports du gouvernement et des ONG, URAPALMA a pris illégalement plus de 14 000 acres des forêts tropicales du Chocó. Terres usurpées avec l’aide de gens comme Latorre et ses collaborateurs paramilitaires. Latorre, diplômé de l’Académie de formation de l’Armée des Etats-Unis, connue comme l’Ecole des Amériques, a été accusé l’an passé du blanchiment de millions de dollars pour un réseau de narcotrafiquants paramilitaires, et les juges disent qu’ils sont en train d’investiguer sur ses activités en tant que Commandant de la Brigade XVII. Un autre Général, Rito Alejo Del Río, qui dirigeait la Brigade XVII au moment où Petro a été déplacé, est en prison, accusé de collaboration avec les paramilitaires. Lui aussi a été formé à l’Ecole des Amériques.

Des rapports du gouvernement, des documents légaux et des témoignages de groupes de droits humains démontrent que les paramilitaires alimentés par le trafic de drogues – souvent aidés par les fonds militaires des Etats-Unis – ont déplacé par la force des milliers de paysans du Chocó à la fin des années 90, tuant plus d’une centaine d’entre eux. Depuis 2001, URAPALMA et une douzaine d’autres entreprises de palme ont usurpé au moins 52 000 acres des terres dépeuplées dans le Chocó, la majeure partie d’entre elles ayant un titre collectif en possession des agriculteurs afroscolombiens comme Petro.

Il se peut que le dommage ne fasse que commencer. En 2005, le président colombien, Álvaro Uribe, en citant l’augmentation des marchés alimentaires et des agroscombustibles, a ordonné au pays d’augmenter la production de la palme de 750 000 Ha à 15 millions d’hectares, une zone d’une taille équivalente à la Virginie Occidentale. Les critiques signalent que dans beaucoup des nouvelles zones de culture de palme, les patrons du narcotrafic sont présents, ainsi que la violence paramilitaire similaire à celle du Chocó, avec massacres et déplacements forcés. Un rapport de l’organisation Human Rights Everywhere

a trouvé traces de crimes violents en lien avec la culture de palme dans cinq régions, toutes celles qui rentrent dans le cadre de la proposition d’Uribe. Presque toutes ces régions ont été l’objet d’appui à la culture de la palme par l’USAID.

L’Agence des Etats-Unis administre le programme de développement alternatif du Plan Colombie depuis son siège dans l’édifice de son ambassade, dans une des rues congestionnées de Bogotá. Le palmier à huile, ou palme africaine, est l’une des rares cultures subsidiaires dont les bénéfices puissent égaler ceux de la culture de la coca. Depuis 2003, les contrats de développement alternatif de l’USAID ont fourni près de 20 millions de dollars à des projets agroindustriels d’huile de palme dans tout le pays.

Près de la moitié de l’huile de palme produite en Colombie est exporté chaque année – en majorité en Europe, mais aussi aux Etats-Unis. Le gouvernement a désormais son regard posé sur l’accord de libre échange entre les Etats-Unis et la Colombie, dont l’approbation par le Congrès – considéré comme probable avec l’appui explicite du Président Obama – permettra que l’huile de palme entre sur le marché américain exempté d’impôts. Même si l’huile se trouve dans les importations américaines de produits alimentaires variés, la Colombie est en train d’investir dans le marché croissant des agrocombustibles.

« Nous sommes à l’aube d’un nouveau développement de l’énergie : la production de biodiesel de palme africaine », a dit le président Uribe en 2005, quand il annoncé son initiative. Le pays a approximativement doublé la superficie semée de palme depuis 2001, année où la Colombie s’est convertie en quatrième exportateur d’huile de palme – année également où sont arrivées les entreprises de palme au Chocó.

Les groupes de droits humains ont accusé des années durant les entreprises de palme en Colombie – URAPALMA en particulier – de cultiver sur des terres volées. Jens Mesa, président de FEDEPALMA, Fédération Nationale des Producteurs de Palme, dit que ces accusations sont totalement exagérées. Mesa se plaint que dans le Chocó, les entreprises, qui n’appartiennent pas à la Fédération, sont des exceptions qui ont injustement stigmatisé cette industrie.

Pourtant, le groupe des Noirs au Congrès a fréquemment exprimé sa préoccupation à l’administration Uribe quant à l’industrie de la palme, qui se trouve dans les grandes zones de peuplement d’afrocolombiens. Préoccupé par le fait que le Congrès retienne des fonds du Plan Colombie ou bloque le Traité de Libre Commerce, le gouvernement colombien à commencer à prendre au sérieux ces accusations. Fin 2007, le Fiscal General Mario Iguarán a annoncé une investigation menée après des dénonciations comme quoi 23 représentants d’entreprises de palme au Chocó, y compris URAPALMA, collaborait avec les paramilitaires pour prendre le pouvoir sur les terres de propriété communautaire. A peu près au même moment, le sénateur Patrick Leahy a apporté une correction aux fonds du Plan Colombie, qui interdit le financement de projets de palme qui « causent le déplacement forcé de la population locale ». Brièvement, le Congrès va débattre du financement du Plan Colombie pour l’année 2010, le premier budget d’aide international élaboré par l’équipe Obama. Dans l’esquisse actuelle de projet de loi, la correction apportée par Leahy est partie pour être retirée.

Sean Jones, Directeur de l’USAID pour le développement alternatif en Colombie jusqu’à mi-mai, reconnaît que l’industrie de la palme dans le pays a « 2 visages ». L‘un d’entre eux est celui des entreprises respectueuses de la loi dit-il, mais « il y a aussi cette vilaine face de la palme africaine, où vous avez quelques protagonistes très désagréables. »

Les paramilitaires et « la violence »

Faisant partie de la Colombie, avec son énorme biodiversité géographique et culturelle, le département forestier du Chocó est considéré comme exotique. Les forêts humides tropicales du Chocó, situées dans la partie nord ouest du pays, où l’Amérique du Sud rejoint le Panama, sont parmi celles qui ont le plus de biodiversité sur la planète. La majorité des colombiens voient encore le Chocó comme un lieu sans importance mais violemment disputé. Les pluies torrentielles nourrissent les basses chaînes montagneuses, qui à leur tour alimentent des centaines de rivières, de fleuves et de marais qui s’étendent à travers le paysage comme des veines. La majorité de ces courants d’eau débouche dans le grand fleuve Atrato, qui serpente jusqu’au nord à travers la forêt jusqu’à ce qu’il débouche par son delta dans la mer Caraïbe. Les riverains l’appellent la zone Urabá.

Les agriculteurs de l’Urabá les plus affectés par le négoce de la palme vivent près de deux exubérants affluents : le Curvaradó et le Jiguamiandó. En l’An 2000, l’entité gouvernementale pour le développement rural, l’INCODER, a autorisé l’octroi de territoires collectifs pour 250 000 acres dans la région, pour les communautés de descendants d’esclaves noirs qui, en vertu de la Constitution Colombienne, jouissent des mêmes droits territoriaux que les peuples indigènes.

Mais le gouvernement, dans un effort pour attirer les investisseurs étrangers, a catalogué l’Urabá comme « le meilleur coin des Amériques ». Et dans les dernières années, les entreprises de palme ont pris plus de 20% de la terre des bassins des deux affluents – la partie du territoire la plus habitable et la plus apte à l’agriculture.

A la fin des années 80, cette partie de Colombie s’est convertie en base pour les groupes paramilitaires, ou « paras », fondés par trois frères de la famille Castaño : Fidel, Vicente et Carlos, tout droit sortis des rangs du tristement célèbre cartel de Medellín de Pablo Escobar. Les Castaño ont reçu un généreux appui logistique et financier des entreprises, des propriétaires fonciers, des narcotrafiquants et des membres de l’armée. Ils ont étroitement collaboré avec les militaires colombiens dans la guerre sale contre la guérilla des FARC. Dans un rapport de 2001 de Human Rights Watch, ils sont catalogués comme étant la « sixième division » de l’armée. Alimentés par un anticommunisme effréné, les seigneurs de la guerre, comme les Castaño, ont sacrifié des milliers d’innocents en les accusant d’avoir des sympathies pour la guérilla.

Au milieu des années 90 sont apparus des pamphlets avertissant tous les collaborateurs de la guérilla qu’ils devaient s’en aller, et les villes ont été envahies de graffitis paramilitaires. Uriel Tuberquia, un des paysans voisins d’Enrique Petro, raconte que dans les mois précédents l’arrivée des paras, des rumeurs circulaient dans la communauté, comme quoi les mochacabezas (les coupeurs de têtes) allaient venir, référence à la façon dont les paramilitaires démembrent les corps de ces victimes.

Quand finalement les paras sont arrivés, ils ont tué le père des Tuberquia alors qu’il surveillait son troupeau. « Ils lui ont tiré dans le dos, de loin », dit Uriel, en regardant vers les champs de palme. « Mon père n’a pas eu d’enterrement digne. On l’a simplement enterré par là, quelque part sous toute cette palme ».

En Octobre 1996, les paras ont fêté de manière macabre leur entrée dans le Chocó, avec l’assassinat de huit paysans dans le petit hameau de Brisas, sur le fleuve Curvaradó, a une heure de marche du terrain de Petro. Ce qui suivit fut une terreur croissante, que les riverains appellent simplement « la violence ». En février 1997, les militaires, soutenus cette année-là par 87 millions de dollars des Etats-Unis, se sont associés avec leur « sixième division » pour frapper au nord du Chocó. Des hélicoptères de l’armée et des avions de combat ont lancé des bombes et tiré avec des armes de gros calibre sur les communautés de la forêt, alors que les paras venaient « nettoyer » derrière eux. Des barrages militaires et paramilitaires se sont multipliés dans toute la région. Des groupes internationaux de droits humains ont documenté les tueries, les tortures, les assassinats et les violations. Les paramilitaires ont achevé l’année en tuant 31 paysans une semaine avant Noël.

Selon l’Agence des Nations Unies pour les Réfugiés (ACNUR), les offensives de 1997 ont obligé près de 17 000 personnes à abandonner leur logement. Rien que dans les bassins du Curvaradó et du Jiguamiandó, 160 paysans ont été reportés comme morts ou disparus. En 1997, Petro avait déjà perdu son frère et deux de ses fils à cause de « la violence » –dont l’un assassiné par les FARC. Les paramilitaires, à plusieurs occasions, l’ont menacé de l’assassiner si il ne s’en aller pas de son terrain. Il a essayé de rester, mais en voyant que les autres s’en allaient Petro a abandonné sa terre.

« Ils ont dit qu’ils étaient venus ici pour déterrer la guérilla », se rappelle Petro, « mais ce sont nous, les paysans, qu’ils ont déterré ». Lors des entrevues, plusieurs survivants me disent que quand a commencé « la violence », ls paras sont arrivés sur leurs terres avec la même offre effrayante : « Vendez nous vos terres ou on négociera avec vos veuves ».

En 2001, quand les paramilitaires ont proclamé leur contrôle définitif sur l’Urabá, Petro et les autres paysans se sont dispersés. Certains se sont cachés dans la forêt, d’autres ont carrément abandonné le Chocó. Bien que les paramilitaires les empêchaient de venir voir leurs terres, les paysans ont écouté des rumeurs qui disaient que leurs terres étaient en train d’être semées de palme.

Gustavo Duncan, un analyste de la sécurité de l’Universités des Andes, à Bogotá, dit que l’inclination des paramilitaires vers la palme a été une évidente décision de busines : « la palme est une façon parfaite de consolider son contrôle social et militaire sur un territoire et pour l’investissement du capital accumulé des drogues en un commerce rentable ». Selon une déclaration assermentée d’un ex employé d’URAPALMA qui coopère avec les investigations de la fiscalía, le pont principal entre les Castaño et les investisseurs était Hernán Gómez, un des premiers mentors idéologique des frères Castaño et époux de l’actuelle gérante d’URAPALMA. La déclaration affirme que Gómez, qui n’a pas répondu à plusieurs appels à son domicile, a aidé les Castaño à contracter de riches narcos expérimentés en commerce de la palme pour investir dans URAPALMA.

Alors que les paysans commençaient, individuellement et de manière dispersée, à retourner dans leurs foyers après 2001, beaucoup rencontrèrent leurs terres défrichées et semées de jeunes palmiers. Des entreprises comme URAPALMA avaient mis des panneaux dans la terre avec inscrit en lettres majuscules : PROPRIETE PRIVE. La présence permanente des paramilitaires terrorisait la zone.

Petro a passé 5 années sans voir sa terre, trouvant refuge dans la localité proche de Bajirá. Il est revenu seulement en 2002, et la vision a été dévastatrice. « Tout le travail de ma jeunesse avait disparu », dit-il. « Cent dix têtes de bétail, neuf chevaux, mon épouse avait plein de poulets, de cochons… Tout a été perdu ». URAPALMA avait labouré pour semer de la palme. Un an après son arrivée, peu après avoir commencé à travailler sa terre de nouveau, « les paramilitaires sont venus me tuer ». Petro était sorti en ville le matin, c’est ainsi qu’il a évité le danger. Mais en revenant il a trouvé sa maison saccagée et pleine de graffitis. Les consignes des paramilitaires sont toujours visibles sur les murs de sa maison en ruines.

L’USAID et la palme

Trois mois après que les paras aient détruit la maison de Petro, URAPALMA a présenté une demande de subvention dans les bureaux de ARD Inc. à Bogotá, un contractant avec 30 années d’expérience dans le développement rural dont le siège est à Burlington, dans le Vermont, avec des bureaux dans 43 pays. Sur son site web, ARD se décrit lui même comme un guide « pour les idéaux du Vermont dans le leadership sur les sujets environnementaux et la participation locale du gouvernement ». L’USAID, une importante source de recettes pour ARD, a 330 millions de dollars en contrats actifs avec l’entreprise.

En janvier 2003, ARD a commencé à administrer 41,5 millions de dollars du Programme d’Agro commerce (CAPP) de l’USAID pour la Colombie. URAPALMA a été une des premières entreprises de palme à envoyer sa demande ; Macaco, lié à COPROAGROSUR, a reçu ses 161 000 dollars de donation l’année suivante (dont 1/3 a été rendu, non utilisé). Des rapports trimestriels d’ARD montrent qu’URAPALMA avait sollicité 700 000 dollars de financements pour couvrir la semence de palme de quelque 5 000 Ha dans l’Urabá- l’épicentre de la terre volée. La demande de subvention a commencé à suivre son cours à travers le processus d’ARD.

Les fonctionnaires de l’USAID se référent au projet proposé par URAPALMA comme une « alliance stratégique », et ont l’habitude d’appeler ces efforts comme « impulsés par la communauté ». « Sans notre appui », a dit un fonctionnaire de l’ambassade, « les agriculteurs auraient une capacité moindre à négocier librement avec les industriels ». Cependant, selon les documents issus des investigations de la Fiscalía en 2007, obtenus par le Fond de Recherches de l’Institut de La Nation, les entreprises de palme dans le Chocó créent ces associations pour légitimer les acquisitions illégales de terres après les faits – souvent à travers la fraude et l’action commune.

Les papiers de l’enquête incluent une déclaration jurée par Pedro Camilo Torres, un ancien employé de URAPALMA, qui de 1999 à 2007 a géré les demandes de prêts de l’entreprise, y compris la demande de subvention auprès de l’USAID. Sa déclaration assermentée accuse URAPALMA de créer un « front » d’organisations paysannes pour garantir les faux titres terriens et l’accès aux fonds publics.

Le cas le plus notoire de fraude implique Lino Antonio Díaz Almario qui apparemment, en 2000, a acquis 14 645 acres – une fortune impossible pour un paysan pauvre – et immédiatement a vendu ces terres à l’Association des Petits Producteurs d’Huile de palme de l’Urabá, créée par URAPALMA. Mais voilà, Díaz était mort depuis 1995, quand il s’est noyé dans le Jiguamiandó.

Le projet URAPALMA proposé à l’USAID, qui est résumé dans un rapport de l’ARD, fait référence à des « Associations Afrocolombiennes ». Selon la déclaration assermentée de Torres et les témoins cités par la Fiscalía, toutes les organisations paysannes d’URAPALMA ont été créées par Teresa Gómez, que le Département du Trésor des Etats-Unis identifie comme la « directrice financière » de la grande fédération narco-paramilitaire des Castaño. Elle gérait, au moins, deux autres ONG affiliées aux paramilitaires et elle est recherchée pour l’assassinat d’un leader paysan qui avait réclamé les terres usurpées par les Castaño dans le département de Córdoba. Les appels téléphoniques et les messages laissés durant des mois au personnel de direction d’URAPALMA n’ont pas trouvé réponse.

URAPALMA n’a jamais reçu l’argent de la subvention en question, un résultat que Susan Reichle, directrice de la mission de l’USAID en Colombie, revendique comme étant dû au « processus » de l’Agence. Reichle soutient que son équipe a élaboré « un protocole de la terre et tout un processus pour réellement garantir, dans la mesure de nos capacités et à travers différentes étapes de vérifications, que cette terre soit une terre propre ». Mais, elle admet : « Malheureusement, j’aimerais vous dire que ça l’est à 100%, mais ça ne l’est pas ». Sean Jones, qui est devenu chef de l’USAID pour les programmes de développement alternatif en Colombie en 2006, contredit Reichle, en disant que la demande faite par URAPALMA est restée au point mort car l’entreprise n’avait pas présenté la documentation sur les titres de propriété.

Selon les rapports trimestriels de la CAPP, un « comité d’étude de projets » conjoint USAID-ARD avait avancé dans la demande d’URAPALMA jusqu’à l’avant dernière étape du processus – le dernier pas avant d’autoriser la levée de fonds – en janvier 2005. Roberto Albornoz, qui a dirigé le programme d’agro commerce de l’ARD en Colombie depuis le début du contrat avec l’USAID, dit que son personnel a mené à bien le dit processus, mais que jamais il n’avait eu la preuve d’activités suspectes. Il confirme que le projet est resté « en suspens » en avril 2005, seulement après qu’URAPALMA n’ait pas présenté les titres de propriété. AAlbornoz dit que son équipe n’a pas eu connaissance du passé contestable d’URAPALMA jusqu’à ce qu’ils aient pris connaissance d’un article publié dans une revue cinq mois après que la proposition soit restée en suspens. En recherchant les raisons pour lesquelles les enquêteurs de l’ARD n’ont pas suspecté d’activités illégales de l’entreprise, les paroles de Jones font écho : « Les dénonciations autour d’URAPALMA n’apparaissaient pas dans la presse à ce moment-là ».

Mais le déplacement forcé et les massacres dans l’Urabá étaient de notoriété publique. En juillet 2003, un mois avant la demande d’URAPALMA à l’USAID, le quotidien national El Tiempo informa que « les projets de la palme africaine dans la région bananière de l’Urabá sont entachés par le sang, la misère et la corruption ». Le Washington Post a repris l’information deux mois plus tard.

Dans des communications déclassifiées par l’ambassade des Etats-Unis, des fonctionnaires nord américains à Bogotá ont tiré la sonnette d’alarme quant à la domination paramilitaire totale dans l’Urabá depuis 1996.

L’une d’elle dit : « Les Castaño ont énormément bénéficié de leurs activités, selon les informations ils ont acquis des milliers d’acres de terres dans le nord de la Colombie ». Cela fait référence à l’augmentation du contrôle des paramilitaires sur des régions entières, et l’Urabá est spécifiquement mentionné.

En 2003, cinq mois avant la demande de subvention d’URAPALMA, la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme a accroché URAPALMA sur sa connivence avec le para militarisme dans l’ Urabá : « Depuis 2001, l’entreprise URAPALMA S.A. a initié la culture de l’huile de palme sur environ 1 500 Ha des territoires collectifs des communautés, avec l’aide de la protection armée de la Brigade XVII et de civils armés » – c’est-à-dire des paras. Les soldats et les paras ont réalisé des incursions armées, conclut la Cour, pour « intimer l’ordre » aux communautés de se joindre à la production d’huile de palme ou d’évacuer.

Mr Albornoz dit que l’étude des demandes par l’ARD s’appuie sur des références croisées avec les registres de données des gouvernements colombien et nord américain de personnes liées au narcotrafic. Mais l’entreprise avait des liens évidents avec le narcotrafic : dans des documents de registre, URAPALMA est mis en relation avec des investisseurs mêlés à deux frères de la famille Zúñiga Caballero, famille que les autorités colombiennes indiquent comme étant un clan connecté avec les paramilitaires et ayant des liens avec les cartels de la drogue de Medellín et Cali.

Des centaines de milliers de dollars

Pendant que l’USAID étudiait la proposition d’URAPALMA, elle a accordé une subvention à OPROAGROSUR, l’entreprise « remise » par Macaco, et une autre a GRADESA, qui raffine l’huile de palme pour la consommation intérieure et l’exportation – en grande partie vers les Etats-Unis. Selon les rapports de l’ARD et des documents de l’USAID, l’Agence a accordé une subvention à GRADESA pour un projet à Belén de Bajirá, Chocó, municipalité qui est le foyer d’URAPALMA – et de la terre de l’ancien terrain d’Enrique Petro. L’USAID apparaît appuyer la participation de GRADESA dans le raffinage de l’huile de palme des champs de morts du Chocó.

L’USAID insiste pour dire que jamais elle n’a financé un projet de palme dans le Chocó. Des représentants de l’USAID, de GRADESA et de l’ARD nient que le projet de GRADESA soit réalisé à Belén de Bajirá, bien qu’il soit mentionné trois années durant dans la ville dans des documents internes et publiques. Des représentants de l’USAID disent que la localité l’a mentionné de manière erronée, que GRADESA l’a introduit malencontreusement dans un rapport de gestion. « L’erreur est passée inaperçue », explique le chargé de presse de l’USAID dans un courrier électronique « parce que notre principal intérêt est centré sur l’information relative aux hectares, aux familles, à l’emploi et aux sommes investies ».

Dans tous les cas, au moment où l’USAID a accordé 257 000 dollars à GRADESA, le 19 décembre 2003, les archives de l’entreprise montrent que les deux mêmes frères Zúñiga avaient investi dans URAPALMA, Antonio et Carlos s’asseyaient également au comité de direction de GRADESA. (Carlos apparaît dans une liste de narcotrafiquants du gouvernement colombien de 1987). En mars 2005, le Fiscal General de Colombie a annoncé qu’il avait évalué la participation des Zúñiga dans l’entreprise et il a présenté des charges criminelles contre les deux frères pour l’usage de GRADESA comme blanchiment d’argent du narcotrafic. Selon un officiel des narcotiques en Colombie, la participation était de 50% ; une récente entrevue avec le gérant de GRADESA a révélé que les deux frères avaient cette participation en actions depuis le début des années 90, bien avant la subvention de l’USAID. Le cas est maintenant en train de faire son lent chemin à travers les tribunaux colombiens, et c’est la cinquième tentative pour leur imputer la charge d’avoir lavé les actifs des Zúñiga.

Malgré cette action légale en cours, l’USAID a approuvé une seconde subvention à GRADESA en 2007, cette fois pour 400 000 dollars, argent d’une nouvelle période de cinq ans pour un contrat de 182 millions de dollars de l’ARD. Dans une réponse par écrit, un fonctionnaire de l’ambassade des Etats-Unis dit que tant que l’USAID n’a reçu aucune contre indication formelle contre les Zúñiga, « il n’y avait pas de moyens que l’USAID puisse avoir été consciente de la relation entre GRADESA et l’enquête contre les Zúñiga ». Le fonctionnaire a dit que les « drapeaux rouges n’ont pas été levés » dans le processus d’analyse de la seconde subvention pour GRADESA et que, comme les Zúñiga ne sont plus « ni actionnaires, ni investisseurs, ni membres de la direction », ils ne sont pas qualifiés comme « bénéficiaires ».

Déplacement permanent

La vie ne s’est pas beaucoup améliorée pour Petro et ses compagnons déplacés. En avril, le gouvernement a remis 3 200 acres – seulement 6% des terres volées – à quelques paysans du long du fleuve Curvaradó. Douze ans après qu’ils se soient vus obligés à fuir, le reste continuent d’être des déplacés. Le gouvernement dit qu’il est en train de mettre la pression sur les entreprises pour qu’elles rendent le reste des terres volontairement, mais les riverains ont déjà écouté ces promesses avant. En attendant, les entreprises sont en train de transporter les racines des palmiers en camion. Petro a juste une fraction de son terrain, une partie duquel s’est transformé en « zone humanitaire » improvisée, une installation de huttes en bois appelée Caño Claro , et qui compte près de douze familles déplacées.

Près de 2 500 personnes continuent en dehors de cette poignée de zones humanitaires, des petits points dans les bassins du Curvaradó et du Jiguamiandó, et qui ne jouissent pas d’une reconnaissance légale du gouvernement. Dans quelques cas, l’unique chose qui sépare ces déplacés de leurs anciennes terres, maintenant couvertes de palme, c’est un chemin de terre patrouillé par les paramilitaires,  désormais vêtus en civil, et par des soldats de l’armée. Les enfants courent autour des installations avec leur ventre gonflé par la malnutrition et la maladie, leurs familles ont été arrachées à leurs sources de subsistance. D’un autre côté, les représailles et les menaces violentes envers ceux qui exigent la restitution des terres ont augmentées.

Un jour, au mois d’octobre dernier, le leader paysan Walberto Hoyos a été assassiné près du fleuve Curvaradó, son cou et son visage pleins de balles d’un pistolet paramilitaire. Le matin suivant, les habitants de l’Urabá se sont réveillés en trouvant leurs villes couvertes de graffitis et de pamphlets annonçant la formation d’un nouveau groupe paramilitaire, une répétition effrayant de ce qui amena à « la violence ».

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