Précarité dans l’agglomération de Grenoble : pas uniquement dans les zones urbaines sensibles
Alain Berthelot, Insee
Résumé
Au sein de la communauté d’agglomération grenobloise, les populations en difficulté économique sont surtout présentes dans les communes de Grenoble puis d’Échirolles. Une méthode de localisation plus fine de ces populations met en évidence plusieurs espaces de précarité, qui dépassent les limites administratives. Le plus grand se situe autour des zones urbaines sensibles du sud de Grenoble et du nord d’Échirolles. Les autres sont le plus souvent localisés autour d’autres quartiers concernés par la politique de la ville. Mais des signes de précarité apparaissent également dans le centre de Grenoble.
* Des populations en difficulté surtout dans les communes de Grenoble et d’Echirolles
* Une accumulation d’indices dessine des espaces de précarité
* Deux espaces de précarité au centre de Grenoble
Publication
Des populations en difficulté surtout dans les communes de Grenoble et d’Echirolles
La mise en œuvre des politiques sociales au niveau local s’appuie sur l’observation de la localisation des ménages en difficulté économique. Les disparités apparaissent tout d’abord entre communes mais des espaces de précarité peuvent être identifiés au sein des plus grandes villes, au-delà des découpages administratifs et statistiques ou des quartiers concernés par la politique de la ville.
Avec ses 400 000 habitants répartis dans 26 communes, la communauté d’agglomération de Grenoble en est une illustration. En 2005, le revenu imposable moyen par foyer fiscal est ainsi 4,6 fois plus élevé à Corenc qu’à Pont-de-Claix. Ces disparités se sont nettement accrues au fil du temps puisque l’échelle n’allait que de 1 à 2,4 vingt ans plus tôt. Les communes dont les habitants étaient déjà les plus aisés sont souvent celles où les revenus ont le plus progressé.
Cette première approche peut être complétée par l’analyse d’un ensemble d’indicateurs relatifs à la précarité liée aux revenus (allocataires Caf à bas revenus, bénéficiaires de la couverture maladie universelle complémentaire dite CMUC, …), mais aussi à l’emploi (chômeurs, bénéficiaires du RMI, …), aux difficultés familiales (familles monoparentales à bas revenus, …) et au logement (bénéficiaires d’une allocation logement). Ces indicateurs sont pertinents pour analyser la précarité de la quasi-totalité de la population à l’exception notable des personnes âgées et des étudiants 1 .
Grenoble concentre le plus de signes de précarité
Grenoble se distingue alors nettement des autres communes, par son poids
(40 % de la population de la communauté d’agglomération) et par le cumul de signes de précarité. Quel que soit le type de précarité, les indicateurs y affichent des valeurs parmi les plus élevées. De ce point de vue, l’agglomération grenobloise se distingue du Grand Lyon où les signes de précarité sont plus marqués dans la banlieue proche que dans la ville centre. Ainsi, la part des allocataires Caf de la commune de Grenoble vivant sous le seuil des bas revenus en 2005 est supérieure de 9 points à la moyenne de la communauté d’agglomération. De même, la part des assurés sociaux bénéficiaires de la CMUC est supérieure de 2 points, celle des allocataires Caf percevant le RMI de 3 points et celle des bénéficiaires d’une aide au logement de 11 points.
Après Grenoble, c’est à Échirolles que les populations en difficulté sont les plus présentes. Les indicateurs de précarité liée aux revenus, à l’emploi et au logement y sont plus faibles qu’à Grenoble ou d’un niveau équivalent. En revanche, les familles en situation précaire sont plus nombreuses, avec davantage d’allocataires Caf à bas revenus en familles monoparentales ou en couples avec au moins deux enfants. À Échirolles, l’habitat HLM est d’ailleurs nettement plus représenté que dans les autres communes.
Viennent ensuite cinq communes de la première couronne de Grenoble : Fontaine, Saint-Martin-d’Hères, Saint-Martin-le-Vinoux (toutes trois ont une zone urbaine sensible), Le Pont-de-Claix et La Tronche. Elles se caractérisent surtout par un indicateur élevé de chômage de faible qualification, notamment Saint-Martin-le-Vinoux et Fontaine, et par une proportion importante d’allocataires à bas revenus. Hormis La Tronche, ces communes, à l’instar d’Échirolles, comptent de nombreux ouvriers non qualifiés.
Les autres communes sont moins concernées par la précarité des ménages, surtout celles situées au sud et Corenc, au nord du territoire.
Une accumulation d’indices dessine des espaces de précarité
L’identification de poches de précarité au sein des villes nécessite des données finement localisées qui ne sont disponibles que pour les communes dépassant
10 000 habitants en 1999. Mises à part Saint-Égrève, Seyssinet-Pariset et surtout Meylan, les 8 communes concernées 2 font partie de celles qui montrent le plus de signes de précarité. Elles concentrent au total près de 80 % des habitants de la communauté d’agglomération mais autour de 90 % des populations en difficulté.
La localisation fine des habitants selon une dizaine d’indicateurs permet d’identifier des espaces dans lesquels les différents types de précarité sont nettement plus présents que dans la moyenne des 8 communes de plus de 10 000 habitants. Ces espaces ne correspondent pas forcément aux découpages connus, tels que les zonages statistiques (Iris) ou les quartiers de la politique de la ville (zones urbaines sensibles – Zus – et quartiers en contrats urbains de cohésion sociale – Cucs -). Il ne s’agit pas ici de délimiter un périmètre précis mais de localiser l’accumulation d’indices de précarité.
Les espaces ainsi identifiés se retrouvent toutefois logiquement dans et autour des quartiers concernés par la politique de la ville. Mais la précarité n’y est pas toujours du même type et du même niveau. Par ailleurs, d’autres secteurs géographiques montrent certains signes de précarité, comme par exemple le centre de Grenoble. La méthode met en évidence des continuités franchissant les limites communales, ce qui confirme que l’observation de ces phénomènes doit être effectuée au niveau de l’agglomération.
Des espaces de précarité surtout localisés au Sud-Est de Grenoble
Un premier grand espace, qui ressort par sa taille et son fort degré de précarité, est localisé dans la partie sud de Grenoble et la partie nord d’Échirolles autour des Zus de « Teisseire, L’Abbaye, Jouhaux, Châtelet », « Village Olympique, La Villeneuve : Arlequins, Baladins » et « La Villeneuve : Les Essarts, Surieux ». La précarité y est importante et multiple. Elle est surtout concentrée sur chacune des trois Zus mais semble déborder largement leurs périmètres. Cette zone se caractérise notamment par une forte proportion d’ouvriers non qualifiés et de salariés à temps partiel, une population relativement jeune et souvent étrangère, avec peu de personnes âgées, des ménages de grande taille, un habitat social important. En conséquence, les familles avec enfants vivant sous le seuil des bas revenus, les chômeurs non qualifiés et les bénéficiaires de la CMUC y sont particulièrement sur-représentés. Cet espace concentre une grande partie des populations en difficulté des
8 communes : entre un quart (allocataires à bas revenus, chômeurs, bénéficiaires d’une allocation logement) et un tiers (familles monoparentales ou couples à bas revenus avec au moins deux enfants, chômeurs de faible qualification).
La précarité monétaire touche aussi le centre-ville de Grenoble
En ce qui concerne la précarité monétaire, 45 % des allocataires Caf de cet espace, soit environ 4 000 personnes 3 , vivent sous le seuil des bas revenus en 2005. C’est 10 points de plus que dans l’ensemble des 8 communes. Les bénéficiaires de
la CMUC représentent 17 % des assurés sociaux, deux fois plus que la moyenne des 8 communes. Ils sont ainsi près de 7 000 dans ce cas. En matière d’emploi, la situation des habitants apparaît également très précaire. Les chômeurs, notamment de faible qualification, sont sur-représentés. Il en est de même pour les allocataires du RMI. La précarité touche surtout les familles, avec par exemple 12 % des allocataires Caf qui sont des familles monoparentales à bas revenus. Enfin, près des trois-quarts des allocataires Caf perçoivent une aide au logement. Dans cet espace, l’habitat social est très présent : en 1999, la quasi-totalité des logements sont des appartements en HLM dans la Zus « Teisseire, L’Abbaye, Jouhaux, Châtelet » et les trois-quarts dans la Zus « La Villeneuve : Les Essarts, Surieux ».
Une autre poche de précarité, bien plus petite mais spatialement très concentrée, apparaît dans et autour de la Zus « Mistral », à l’ouest de Grenoble, à la jonction avec Seyssinet-Pariset et Seyssins. Elle a des caractéristiques proches de celles de la zone précédente. Les bénéficiaires de la CMUC y sont particulièrement sur-représentés (26 % des assurés sociaux) ainsi que les couples à bas revenus ayant au moins deux enfants (15 % des allocataires Caf). C’est dans cette zone que les indicateurs de précarité atteignent les valeurs les plus élevées car elle semble très circonscrite. Elle regroupe, selon l’indicateur retenu, 2 à 6 % des populations en difficulté des 8 communes, soit, pour les effectifs les plus importants, moins d’un millier de bénéficiaires de la CMUC et quelques centaines d’allocataires Caf à bas revenus.
La zone englobant la Zus « Renaudie » à Saint-Martin d’Hères jouxte le grand espace du sud de Grenoble mais s’en distingue par une précarité moins marquée. Ici, ce sont surtout les chômeurs de faible qualification qui sont sur-représentés, ainsi que les familles à bas revenus avec des enfants, qu’il s’agisse de parents isolés ou de couples avec au moins deux enfants. Dans cet espace, la moitié des logements sont des appartements HLM, les étrangers et les ménages d’au moins 5 personnes sont très nombreux. Il regroupe, selon l’indicateur observé, entre 4 et 7 % des populations en situation de précarité des 8 communes.
Une quatrième poche de précarité apparaît à la jonction entre Échirolles et Le Pont-de-Claix, correspondant aux quartiers Cucs « Village 2 » et « Grand Galet ». Elle est surtout concernée par la précarité liée à l’emploi et aux familles à bas revenus tandis que les allocataires Caf bénéficiant d’une aide au logement ne sont pas beaucoup plus nombreux qu’ailleurs. En termes d’effectifs, cette zone est la plus petite (environ 500 bénéficiaires de la CMUC et 300 allocataires Caf à bas revenus).
À côté de ces espaces concentrant le plus de signes de précarité, d’autres zones sont mises en évidence, dans lesquelles les populations en difficulté, ou certaines d’entre elles, sont un peu plus présentes que dans la moyenne des 8 communes étudiées. Souvent, elles correspondent en partie à des quartiers identifiés dans le cadre des Cucs. C’est le cas à Pont-de-Claix et à Échirolles, pour les quartiers « La Luire-Viscose », « Iles de Mars-Olympiades » et « Taillefer-Marcelline ».
Il en est de même à Fontaine, où deux espaces se distinguent, un englobant la Zus des « Floralies » et un autre dans le nord de la commune (autour des trois quartiers Cucs « Alpes-Cachin-Buissonnées », « Curie-Romain Rolland » et « Bastille-Néron »). Leur profil n’est pas très différent, avec une précarité surtout liée à l’emploi. À noter que la Zus des « Floralies » cumule moins de signes de précarité que les autres Zus.
Précarité liée aux familles : surtout dans les ZUS
Deux espaces de précarité au centre de Grenoble
Dans cette géographie de la précarité, le centre de Grenoble constitue un cas particulier. Deux espaces montrent des signes de précarité monétaire et de précarité liée à l’emploi. Le premier se situe dans le centre ancien, dépassant largement le quartier Cucs « Notre Dame / Très Cloître / Alma », le second autour du cours Berriat. Contrairement à la plupart des autres zones, les allocataires à bas revenus sont sur-représentés mais seulement ceux qui vivent seuls ou en couple sans enfant. Les allocataires Caf percevant le RMI sont relativement nombreux ainsi que les demandeurs d’emploi, mais pas tellement ceux de faible qualification. La précarité liée à l’emploi est surtout marquée dans le centre ancien.
Ces zones du centre de Grenoble semblent donc abriter des populations plutôt sans enfant, avec de faibles ressources : personnes isolées, couples jeunes ou couples n’ayant plus d’enfant à charge. Ce ne sont pas des étudiants, non pris en compte dans les allocataires Caf à bas revenus. Il peut s’agir par exemple d’anciens ouvriers immigrés. La sur-représentation de salariés à temps partiel dans le centre ancien laisse aussi supposer la présence de travailleurs pauvres. Dans ces deux espaces, la population apparaît plus diversifiée que dans les autres espaces identifiés.
(1) Les personnes âgées de 65 ans et plus ne sont pas ou peu prises en compte dans les indicateurs Caf et Cnam et elles sont de fait exclues des indicateurs liés à l’emploi et au chômage. Il en est de même pour les étudiants.
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(2) Échirolles, Fontaine, Grenoble, Le Pont-de-Claix, Meylan, Saint-Égrève, Saint-Martin d’Hères, Seyssinet-Pariset.
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(3) voir méthodologie : il s’agit ici d’effectifs approximatifs destinés à donner une idée des volumes de populations concernées par la précarité.
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