MONDE : Pour innover, il faut prendre des risques
DAKAR, 12 août 2009 (IRIN) – Les sachets de thé, le Viagra et les SMS ont tous quelque chose en commun : ils ont nés du hasard tandis qu’on cherchait une solution à un autre problème – un moyen de transporter le thé, un médicament pour traiter les maladies de cour ou une autre option sur les téléphones.
Dans le secteur humanitaire, les innovations suivent souvent le même modèle – elles ne sont pas « fixes » ou « linéaires » et dépendent tout autant du hasard que du contexte politique et organisationnel, selon un rapport du Réseau d’apprentissage actif pour l’obligation de rendre des comptes et la performance dans l’action humanitaire (ALNAP).
L’alimentation thérapeutique communautaire, qui a révolutionné le traitement de la malnutrition, est née d’une autre invention – les aliments prêts à l’emploi, comme le Plumpy’ nut. De même, les versements en espèce pour remplacer les distributions de nourriture ont été largement utilisés en 2004 dans le cadre de la réponse humanitaire au tsunami, notamment parce qu’il y avait beaucoup d’argent disponible.
Les recherches indiquent qu’outre le hasard, cinq étapes sont nécessaires pour qu’une invention soit couronnée de succès : il faut reconnaître le problème ou l’occasion, trouver une solution, développer l’idée, la mettre en ouvre et la diffuser, a indiqué l’ALNAP.
Les principaux ingrédients
L’ALNAP souligne quatre domaines d’innovations – les produits humanitaires, comme de meilleurs réchauds ; les processus, comme l’entreposage des biens ou une meilleure assurance qualité ; le positionnement, par exemple le fait d’utiliser des maisons semi-permanentes plutôt que des tentes comme abris d’urgence ; et les paradigmes, comme d’inciter les bénéficiaires à participer à des programmes destinés à encourager l’appropriation locale de la réponse aux crises.
« Pour que les idées prennent vie, les organisations doivent développer une sorte d’esprit d’entreprise dans le secteur humanitaire », a dit Ben Ramalingam, directeur du service de recherche et développement de l’ALNAP, à IRIN. « Nous avons besoin de champions créatifs capables d’identifier et de promouvoir les innovations ; et du courage institutionnel pour accepter les critiques sur les procédures existantes. »
« Aussi, tout comme les innovations du domaine médical sont limitées par des considérations éthiques, les innovations humanitaires doivent être bâties sur le principe du risque honorable », a-t-il ajouté.
Le personnel de World Vision s’est inspiré de l’utilisation d’appareils électroniques mobiles pour accélérer le flux de passagers dans les aéroports pour améliorer ses programmes d’urgence. World Vision a travaillé en collaboration avec une entreprise de développement de logiciels afin d’élaborer une technologie portative pour scanner les cartes de rationnement, permettant ainsi de réduire de 3 minutes à 30 secondes le temps nécessaire pour identifier les bénéficiaires, a dit à IRIN Jay Narhan, responsable du projet, appelé Last Mile Mobile Solutions. « Cette observation a donné lieu à une réflexion créative – une bonne idée en entraîne une autre », a-t-il ajouté.
L’organisation a donné à son personnel des instructions claires quant aux éléments à améliorer. Elle s’est montrée ouverte aux critiques quant aux approches existantes et a écouté les idées de ceux qui en avaient. « Une fois pensée, il faut développer l’idée afin de trouver les moyens de financer sa mise en ouvre et prendre le temps d’en prouver la valeur », a indiqué M. Narhan à IRIN.
Les risques
Mais la peur de l’échec demeure bien présente dans le secteur humanitaire, selon l’ALNAP. « Les opérations sur le terrain sont soumises à la pression et se déroulent dans des conditions changeantes, souvent dangereuses et précaires. Elles ne laissent pas beaucoup de place à l’expérimentation ‘d’idées nouvelles et excitantes’… Dans une situation humanitaire, un ‘échec’ peut signifier la mort de nombreuses personnes », ont fait observer les interlocuteurs d’IRIN. Avec l’expansion du secteur humanitaire, la pression est de plus en plus forte pour maintenir l’ordre et le contrôle, a dit Peter Walker, directeur du Centre international Feinstein (FIC).
Toutefois, d’après Tom Corsellis, directeur de l’ONG Shelter Centre, basée à Genève, « l’innovation fait partie de la vie de tous les jours sur le terrain. Le problème n’est pas le manque d’imagination : il est institutionnel. Il faut encourager l’évolution de l’idée et lui permettre de prendre forme. »
M. Corsellis fait pression pour que l’ensemble du secteur humanitaire prennent un virage important dans le domaine des abris d’urgence – plutôt que de distribuer des tentes comme elles le font actuellement, les organisations humanitaires devraient reconnaître que les personnes déplacées ont besoin d’abris semi-permanents et, par conséquent, les aider à se procurer les outils nécessaires pour les construire eux-mêmes.
La construction d’une maison qui dure en moyenne cinq ans coûte 500 dollars américains – le même prix qu’une tente, qui ne dure généralement qu’un an. La nouvelle approche est ainsi plus rentable et plus appropriée pour les personnes déplacées, a indiqué M. Corsellis.
C’est à la suite du tremblement de terre du Gujarat, en 2001, que M. Corsellis a présenté l’idée, que la plupart des ONG impliquées dans le secteur du logement avaient adopté au moment du tsunami, en 2004. Malgré tout, M. Ramalingam estime que « le changement doit encore atteindre la masse critique pour que l’ensemble du secteur l’adopte. »
Afin de modifier les pratiques dans l’ensemble du secteur, les organisations d’aide humanitaire doivent mettre en commun leurs ressources et collaborer plutôt que se faire de concurrence, a souligné M. Ramalingam. « Même dans les milieux privés où la concurrence est la plus acharnée, on se rend de plus en plus compte de la nécessité d’équilibrer la concurrence et la collaboration dans un esprit de ‘co-opétition’ », a-t-il ajouté.
« De telles approches deviennent particulièrement cruciales pour la mise en place des innovations les plus radicales qui s’intéressent aux communautés touchées, à la création de partenariats locaux et à la prévention des catastrophes », a-t-il poursuivi.
Les changements sont généralement progressifs et peuvent mettre des années à s’imposer dans une seule organisation et des dizaines d’années à être adoptés par les autres, indique l’ALNAP. La Croix-Rouge américaine a distribué des aides d’urgence en argent pour la première fois en 1871, mais ce n’est qu’en 2004 que le principe a officiellement été accepté. Les aliments thérapeutiques prêts à l’emploi existent depuis le début des années 1980, mais ce n’est que 15 ans plus tard qu’ils ont été utilisés dans les interventions dans le domaine de la nutrition.
La patience est donc de mise, mais certains contextes offrent au changement un terrain plus fertile que d’autres, indique M. Narhan. La nécessité de réduire les coûts et d’augmenter l’efficacité, encouragée par la récession actuelle, pourrait s’avérer être l’impulsion dont a besoin le secteur humanitaire.
aj/np/gd
[FIN]
© IRIN. Tous droits réservés.
[Cet article vous est envoyé par IRIN, le service de nouvelles et d’analyses humanitaires du Bureau des Nations Unies pour la Coordination des Affaires Humanitaires (OCHA). Les opinons exprimées dans les articles d’IRIN ne reflètent pas nécessairement le point de vue des Nations Unies ou de ses Etats membres. Toute reproduction ou republication à des fins non commerciales est autorisée, à condition de mentionner la source IRIN. Dispositions et conditions d’utilisation: http://www.irinnews.org/copyright.aspx